40 ans du modèle des GE : quels bilans et perspectives

D’après les derniers chiffres compilés par le réseau national CRGE, notamment à partir de ceux du ministère de l’Agriculture et de l’Urssaf, on comptait en 2023 4500 groupements d’employeurs en France, et près de 200 000 salariés mis à disposition de leurs adhérents – dont 55 000 équivalents temps plein. Si ces données révèlent l’installation de ce modèle atypique, créé en 1985, plusieurs axes de progrès sont à envisager pour le développer et le pérenniser. Les explications de Cyrielle Berger, directrice générale de CRGE, et de Silouane Lebreton, président-fondateur d’1Pact. 

Quels principes clés ont été à l'origine de la création des groupements d'employeurs ?

Cyrielle Berger : Le « père fondateur » est France Joubert, militant syndical, qui a défini les prémices de ce modèle avec les représentants des exploitants agricoles de Nouvelle-Aquitaine, habitués à la coopération et au partage de matériels et de terres. Son concept reposait sur une idée simple : si nous sommes capables de partager notre force de travail, nous pouvons aussi partager des salariés qui pourraient nous appuyer ou nous remplacer en cas de besoin. 

Les principes fondateurs étaient donc posés – mutualisation de ressources, volonté de contribuer à l’emploi durable, solidarité économique entre les membres. La loi de 1985 a ensuite précisé leur cadre : le seul objet du GE est la mutualisation de main d’œuvre ; ses membres s’engagent à une responsabilité solidaire. Par ailleurs, si le CDI à temps complet n’était pas inscrit dans la loi, cette intention a donné lieu à des évolutions législatives ces dernières années. 

Silouane Lebreton :  L’idée d’1Pact c’est de porter le développement de contrats en CDI dans des secteurs qui subissent la précarité. Nous animons des groupements d’employeurs avec l’ambition d’offrir de la stabilité aux salariés et garder une flexibilité pour les entreprises, grâce à une logique de mutualisation qui a du sens. Nous nous adressons aux grandes entreprises de la logistique et de l’industrie à travers les groupements dont nous avons la gestion. Notre modèle vise à encourager des entreprises, qui n’en ont pas l’habitude ou la culture, à coopérer au sein d’un GE, et à les soutenir en leur apportant tous les services clés en main. Cette logique servicielle est commune avec CRGE. 

En 40 ans, le modèle du GE a connu plusieurs développements, comme la diversification des secteurs d'activité et la montée en compétences des structures. Quelles sont, à vos yeux, les avancées les plus marquantes ?

Cyrielle Berger : Progressivement, différents secteurs ont perçu l’intérêt de cette forme d’emploi et s’en sont emparés, comme l’agro-alimentaire, l’artisanat ou l’industrie. Aujourd’hui, tout secteur et tout type d’employeur sont susceptibles d’y recourir, comme le domaine de la santé, où le groupement d’employeurs peut être une réponse aux problématiques de désert médical – par la mutualisation de fonctions paramédicales ou support. Au fil des années, le modèle a essaimé dans les différentes régions et, sur le plan législatif, s’est élargi à différents types d’employeurs, comme les moyennes et grandes entreprises ou les collectivités publiques. 

Ces dernières décennies, les syndicats et les fédérations professionnelles ont œuvré pour populariser ce modèle et ses atouts. C’est la mission de CRGE en 2025 : non plus le faire connaître, mais le faire reconnaître, pour le sécuriser et le renforcer. L’harmonisation des pratiques est un enjeu d’installation du GE dans le paysage institutionnel et social français. 

Silouane Lebreton : C’est en effet un enjeu majeur que l’on cherche à concrétiser, à notre niveau, en privilégiant une vision claire, des process précis, une cohérence et une unité de services aux adhérents et aux salariés : bref, en étant transparent, concret, pragmatique. Pour franchir une nouvelle étape, nous sommes convaincus que les adhérents ont tout intérêt à s’investir davantage dans la vie associative, afin d’en faire un levier de développement des possibilités de recrutement à l’échelle locale. Une diffusion plus massive n’est possible qu’avec l’appui de personnes motivées localement et une qualité d’exécution uniforme d’un territoire à l’autre.  

Le défi est aussi de prendre en compte la diversité des attentes des adhérents et des salariés, qui peuvent être très différentes d’un groupement à l’autre. Chaque GE doit donc réfléchir à ses marges de progrès organisationnelles, aux moyens de travailler plus efficacement ensemble, à la recherche de nouvelles solutions pour faire mieux. L’essor des ambitions RSE (responsabilité sociale et environnementale) est un levier pour avancer conjointement dans cette direction. 

Quels défis doivent être relevés pour pérenniser le modèle du groupement d'employeurs ?

Cyrielle Berger : La clé est de viser la libération des GE, qui est au cœur du projet politique de CRGE. Malgré l’ouverture du modèle, les groupements restent catégorisés – agricoles, insertion et qualification… Ces silos nuisent à la visibilité et à la lisibilité. Il faut au contraire permettre à tout GE d’accueillir n’importe quel type d’entreprise et de salariés, tout en bénéficiant des aides et dispositifs réservés aujourd’hui à certaines catégories de GE. Cet enjeu d’élargissement est essentiel pour faire du GE un acteur central de la revitalisation territoriale, mais aussi de la montée en compétences des salariés, par la création d’une activité de formation. Nous devons faire évoluer la loi pour favoriser une logique plus transversale, avec une branche professionnelle dédiée au GE et appuyée sur une convention collective spécifique. 

Silouane Lebreton : La pérennité des GE dépendra de leur capacité à définir une représentativité commune, avec un discours clair et cohérent auprès des branches professionnelles et de l’État. Nous avons besoin d’un investissement des dirigeants d’entreprises membres de GE sur ce volet politique. Un engagement fort, collectif, unifié, des entreprises qui ont créé, utilisent et gèrent un groupement, est essentiel. Un autre axe à privilégier serait de conduire une réflexion pour définir une charte de bonnes pratiques, qui permettrait notamment d’adresser plus facilement les grands groupes.  

Cyrielle Berger: Nous devons veiller à ne pas institutionnaliser le modèle du GE. C’est aux groupements de s’organiser pour devenir institutionnels sans que cela vienne des pouvoirs publics. Ils doivent pour cela gagner en capacité à innover, à diversifier leurs missions et leurs activités, à mesurer leur impact économique, social et territorial. 

Pour aller plus loin, découvrez les témoignages de Paul, Estelle et Girard sur leur vision du groupement d'employeurs

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